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27 février 2012
Point chaud - Sans enseignants spécialisés, l'anglais intensif sera un échec
Par Lisa-Marie Gervais, dans Le Devoir, 27 février 2012
Les parents l'ont décrié, les enseignants aussi. Tel que présenté par la ministre de l'Éducation, le programme d'anglais intensif, qui sera implanté dans toutes les classes de 6e année du Québec d'ici 2015, n'est pas viable. Au tour de la recherche universitaire d'émettre de sérieuses réserves. «Ça me fait tellement peur de penser que pendant cinq mois, les jeunes ne vont que faire des jeux pour apprendre l'anglais. Alors qu'on sait que cet âge-là est très important dans le développement de l'enfant, de sa pensée formelle», a lancé Zita De Koninck, professeure au département de langues, linguistique et traduction de l'Université Laval. «On doit prendre au sérieux la façon dont va être implanté ce programme-là.»Non pas que l'idée de soumettre les petits Québécois à un apprentissage intensif d'une langue seconde ne soit pas vertueuse. Bien au contraire. Mais encore faut-il qu'il soit implanté de façon efficace, ce qui ne semble pas être le cas pour l'instant, croit la chercheuse. «Il faut mettre les chances de notre côté. Et si on met devant les classes des enseignants qui ne savent pas bien parler anglais ou qui ne savent pas comment l'enseigner, quel modèle on donne?», s'interroge-t-elle. Elle craint qu'on ne se soucie pas suffisamment de mettre à profit des spécialistes de l'enseignement de l'anglais.
Légitime, son inquiétude est liée à un épisode de cafouillage pas si lointain. En 2006, lorsque que le ministère de l'Éducation a mis l'anglais au programme dès la première année du primaire, les écoles ont été prises de panique devant le nombre de profs d'anglais à embaucher. À Québec, plutôt que retenir les services de bacheliers en enseignement d'une langue seconde, les commissions scolaires se sont tournées vers son département pour former le personnel déjà à l'emploi. «À l'Université Laval, sur 200 qu'on devait former, il y en avait seulement 15 qui étaient admissibles à notre certificat d'aptitude à l'enseignement spécialisé d'une langue seconde. Tous les autres avaient besoin de suivre des cours supplémentaires de mise à niveau en anglais», raconte-t-elle.
Spécialistes contre enseignants
Elle qui a passé toute sa vie à scruter les méthodes d'acquisition des langages et la didactique des langues, Zita De Koninck est bien placée pour comprendre le haut degré de formation que doit posséder un enseignant pour que l'enfant apprenne efficacement. Ne s'improvise pas prof d'anglais qui veut. «Quand on forme un enseignant en langue seconde, on le forme pour qu'il aide l'enfant à développer ses capacités langagières et cognitives au moyen de toutes sortes d'exercice conçus pour ça», a-t-elle soutenu. «La formation, c'est de savoir pourquoi je pose tel geste pédagogique et pourquoi j'organise les activités selon une séquence donnée. Par exemple, si je veux amener les enfants à raconter une histoire en anglais à l'aide d'images, il ne faut pas que l'enseignant les voie. Le défi est alors plus grand pour l'enfant de raconter pour que son enseignant devine.»
En revanche, aussi vaillant et bien intentionné soit-il, un enseignant non formé ira glaner des activités et des jeux dans divers manuels ou sur Internet sans nécessairement réfléchir à l'aptitude qu'il veut développer chez l'enfant. «C'est bon d'utiliser des jeux pour motiver les élèves. Mais en faire du matin au soir, ça ne va pas l'aider», note Mme De Koninck.
Et comment faire en sorte que tous les élèves de 6e réussiront alors que le programme demande de condenser sur une demi-année toutes les matières autres que l'anglais (par exemple le français et les maths)? «Que vont faire les profs pour amener leurs élèves à bien réussir? Ils vont compresser leurs matières? On dirait que la ministre évite de répondre à cette question-là», déplore la spécialiste de l'enseignement des langues. Elle ne serait pas contre une augmentation du nombre d'heures en classe, par exemple en le faisant passer de 25 à 30, soit une heure de plus par jour, comme cela se fait dans certaines provinces canadiennes.
Faire comme les Anglos
Pour mettre en place de bons programmes linguistiques, le ministère de l'Éducation aurait intérêt à regarder ce qui se fait chez les Anglos, qui possèdent plusieurs modèles d'immersion française. Dans la plupart des cas, les enfants des écoles anglophones qui sont en immersion dans la langue de Molière font la maternelle, première et deuxième année du primaire uniquement en français. Par la suite, les ratios anglais/français s'inversent progressivement. «C'est certainement un modèle intéressant», estime Mme De Koninck.
Le Québec aurait aussi intérêt à regarder ce qui se fait ailleurs, notamment en Europe. En Suisse et au Luxembourg, les écoles bilingues sont légion. La clé de leur succès? Plusieurs points, croit la professeure, mais le fait que les autres matières scolaires sont enseignées en anglais y est certainement pour quelque chose. Ce qui est interdit dans les écoles du Québec en vertu de la Loi sur l'instruction publique. «Voir un contenu scolaire dans une autre langue permet d'approfondir davantage les concepts. L'élève va poser plus de questions et ça va amener une répétition des contenus. Au final, ça va avoir un impact positif sur la connaissance à la fois des concepts et de la langue», avance-t-elle.
Reste un mythe à déboulonner: celui qui laisse croire que les enfants en difficulté seront désavantagés. «Il n'y a pas d'études qui ont démontré que les élèves en difficulté vont être pénalisés. Au contraire. L'ouverture à une autre langue et le fait que l'enfant réfléchit sur le choix des mots, sur ses caractéristiques est plutôt bénéfique», a dit Mme De Koninck, en évoquant les travaux de recherche de Fred Genesee, de l'Université McGill. Ils ont permis de conclure que l'immersion française n'avait aucun effet nocif sur le développement de la langue anglaise, y compris chez les élèves qui éprouvent des difficultés en langue maternelle. Même qu'elle avait un impact positif sur la performance scolaire en général.
Somme toute, avant de commencer à implanter quoi que ce soit, il vaudrait peut-être mieux faire le bilan de l'introduction de l'anglais dès la première année, suggère Zita De Koninck. «Ça aurait été bien de savoir ce que ça avait donné, cette mesure-là. Malheureusement, au Québec, on n'est pas très vigilant sur le suivi.»
***
L'anglais intensifen cinq dates
1993: Le projet d'anglais intensif débute au Saguenay
2001: Le rapport des États généraux sur la langue française recommande l'anglais intensif en 6e année.
2006: L'anglais langue seconde est désormais enseigné dès la première année du primaire.
2011: Dans son discours inaugural, le premier ministre annonce l'implantation de l'anglais intensif en 6e année.
2015: Toutes les écoles du Québec auront un programme d'anglais intensif en 6e année.
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