Publié dans Le Soleil, 19 juin 2011
(Québec) Quand un papa joue aux cartes avec ses enfants, il suit les règles et ne donne de chance à personne; une maman, elle, laissera gagner en douce son pauvre trésor qui vient de perdre deux parties d'affilée. Le père s'en fiche si le chandail et le pantalon de fiston sont dépareillés; pas la mère, surtout si c'est le jour de la photo d'école. En 2011, les pères et les mères font les mêmes choses avec leurs enfants. Mais différemment.
Diane Dubeau s'intéresse à la réalité des pères depuis plus de 20 ans. Elle en a fait le thème de sa thèse de doctorat et elle a cosigné un livre en 2009, La paternité au XXIe siècle. Elle est responsable du programme de deuxième cycle en psychoéducation à l'Université du Québec en Outaouais et n'a de cesse de creuser ce sujet, pour rendre compte des changements sociaux et des répercussions qu'ils auront sur les générations suivantes.
En ce jour de la fête des Pères, elle y va d'un message tout simple : un père, c'est important. Un père «à sa manière», un père «pas à pas», un père qui fait des erreurs. «Le lien d'un père et de son enfant est précieux et porteur d'espoir», affirme cette fine observatrice. Quand elle le dit, elle pense aux drames familiaux, souvent engendrés par le désespoir. Quand un enfant a faim, peu importe la peine ou la colère entre les deux parents, il faut le faire manger. S'affairer aux chaudrons éloigne le désespoir.
Les psychologues s'entendent : les jeunes papas de 2011 désirent s'impliquer auprès de leurs enfants. «Plus ils sont jeunes, mieux ils veulent faire», observe Caroline Paquet, psychologue et médiatrice de Québec. «Et en général, ils sont à la hauteur, ils font une "bonne job"... quand on leur donne une chance.»
Les mères, en effet, ont un «côté lionne». Elles voudraient donc que les choses soient faites à leur manière! Et souvent, dans les cas de séparation, quand le père veut la garde partagée, aux yeux de la mère, «il doit la mériter et faire ses preuves», note Mme Paquet.
Rôle de vigile
Diane Dubeau parle du «rôle de vigile» de la mère. Les enfants et les affaires domestiques sont «des expertises liées aux mères» depuis longtemps. «C'est leur territoire, résume la chercheuse. Et dans ce territoire, ce sont elles qui gèrent la place allouée aux hommes.» Alors malgré toute leur bonne volonté, les hommes baisseront parfois les bras, de guerre lasse. Dommage pour les enfants. Car un homme à l'aise dans la maison leur dévoile des aspects de lui-même qu'ils ne découvriraient pas dans un autre contexte.
Le modèle de père pourvoyeur et de représentant de l'autorité est dépassé. «Aujourd'hui, il y a une diversité de modèles», fait remarquer Diane Dubeau. Ce qui ne facilite pas la vie des parents. «Ça crée des pressions sur le couple», ajoute-t-elle.
Les deux parents qui travaillent et les couples qui se séparent ont été des facteurs déterminants dans l'engagement des pères auprès de leur progéniture. Diane Dubeau refuse de parler de crise. Elle utilise les mots adaptation et évolution. Les mères ont lâché du lest. Les pères se sont mis à faire le lavage. À leur manière.
Pas dans tous les milieux
La psychologue de Québec Sylvie Royer trouve quand même que «le contrôle reste à la mère». Oui, les hommes sont plus aidants et ils en font plus qu'avant. «C'est une tendance», dit-elle avec circonspection. Et pas dans tous les milieux.
«Bien que de nombreux pères aient développé une relation intime et étroite avec leurs enfants, le nombre de ceux qui demeurent absents de la vie de ces derniers a atteint un niveau très important [...] l'absence paternelle constitue un problème social de premier ordre», écrit Diane Dubeau dans La paternité au XXIe siècle.
Une enquête publiée mercredi aux États-Unis révèle que «les nouveaux pères» sont tiraillés entre les impératifs de leur carrière et leur volonté de compter autant que la mère à la maison. Soixante-dix-sept pour cent des 1000 pères interrogés affirment qu'ils aimeraient consacrer plus de temps quotidiennement à discuter avec leurs enfants. Plus de la moitié ont reconnu qu'au cours des trois derniers mois, ils n'avaient pas été en mesure de faire ce qu'il fallait à la maison en raison du travail.
Entre tradition et modernité
Sylvie Royer a observé un drôle de phénomène : un retour aux valeurs traditionnelles d'engagement (le mariage) et une «couleur plus moderne» d'implication, «d'entraide dans les tâches».
«C'est important, le rôle du père, insiste-t-elle. Le père est lié à l'extérieur. C'est lui qui contribue à défaire la symbiose mère-enfant de façon adéquate. Il lui montre à développer une autre forme d'attachement. Un enfant qui a un bon attachement à ses deux parents sera mieux équilibré pour s'adapter à la société, à l'école, à ses pairs.»
Mme Royer salue l'actuelle «valorisation du rôle de père» dans notre société, notamment avec l'introduction du congé parental. Un homme avec une poussette ne suscite que des réactions positives. Et au bout du compte, le plus gratifiant pour le nouveau père ne demeure-t-il pas l'amour et l'attachement qu'il reçoit de son enfant?
«C'est fascinant, ce que les enfants disent de leur père», se réjouit Diane Dubeau, qui n'en a pas fini avec la valorisation de la paternité : «On a plus de questions que de réponses.»
Diane Dubeau s'intéresse à la réalité des pères depuis plus de 20 ans. Elle en a fait le thème de sa thèse de doctorat et elle a cosigné un livre en 2009, La paternité au XXIe siècle. Elle est responsable du programme de deuxième cycle en psychoéducation à l'Université du Québec en Outaouais et n'a de cesse de creuser ce sujet, pour rendre compte des changements sociaux et des répercussions qu'ils auront sur les générations suivantes.
En ce jour de la fête des Pères, elle y va d'un message tout simple : un père, c'est important. Un père «à sa manière», un père «pas à pas», un père qui fait des erreurs. «Le lien d'un père et de son enfant est précieux et porteur d'espoir», affirme cette fine observatrice. Quand elle le dit, elle pense aux drames familiaux, souvent engendrés par le désespoir. Quand un enfant a faim, peu importe la peine ou la colère entre les deux parents, il faut le faire manger. S'affairer aux chaudrons éloigne le désespoir.
Les psychologues s'entendent : les jeunes papas de 2011 désirent s'impliquer auprès de leurs enfants. «Plus ils sont jeunes, mieux ils veulent faire», observe Caroline Paquet, psychologue et médiatrice de Québec. «Et en général, ils sont à la hauteur, ils font une "bonne job"... quand on leur donne une chance.»
Les mères, en effet, ont un «côté lionne». Elles voudraient donc que les choses soient faites à leur manière! Et souvent, dans les cas de séparation, quand le père veut la garde partagée, aux yeux de la mère, «il doit la mériter et faire ses preuves», note Mme Paquet.
Rôle de vigile
Diane Dubeau parle du «rôle de vigile» de la mère. Les enfants et les affaires domestiques sont «des expertises liées aux mères» depuis longtemps. «C'est leur territoire, résume la chercheuse. Et dans ce territoire, ce sont elles qui gèrent la place allouée aux hommes.» Alors malgré toute leur bonne volonté, les hommes baisseront parfois les bras, de guerre lasse. Dommage pour les enfants. Car un homme à l'aise dans la maison leur dévoile des aspects de lui-même qu'ils ne découvriraient pas dans un autre contexte.
Le modèle de père pourvoyeur et de représentant de l'autorité est dépassé. «Aujourd'hui, il y a une diversité de modèles», fait remarquer Diane Dubeau. Ce qui ne facilite pas la vie des parents. «Ça crée des pressions sur le couple», ajoute-t-elle.
Les deux parents qui travaillent et les couples qui se séparent ont été des facteurs déterminants dans l'engagement des pères auprès de leur progéniture. Diane Dubeau refuse de parler de crise. Elle utilise les mots adaptation et évolution. Les mères ont lâché du lest. Les pères se sont mis à faire le lavage. À leur manière.
Pas dans tous les milieux
La psychologue de Québec Sylvie Royer trouve quand même que «le contrôle reste à la mère». Oui, les hommes sont plus aidants et ils en font plus qu'avant. «C'est une tendance», dit-elle avec circonspection. Et pas dans tous les milieux.
«Bien que de nombreux pères aient développé une relation intime et étroite avec leurs enfants, le nombre de ceux qui demeurent absents de la vie de ces derniers a atteint un niveau très important [...] l'absence paternelle constitue un problème social de premier ordre», écrit Diane Dubeau dans La paternité au XXIe siècle.
Une enquête publiée mercredi aux États-Unis révèle que «les nouveaux pères» sont tiraillés entre les impératifs de leur carrière et leur volonté de compter autant que la mère à la maison. Soixante-dix-sept pour cent des 1000 pères interrogés affirment qu'ils aimeraient consacrer plus de temps quotidiennement à discuter avec leurs enfants. Plus de la moitié ont reconnu qu'au cours des trois derniers mois, ils n'avaient pas été en mesure de faire ce qu'il fallait à la maison en raison du travail.
Entre tradition et modernité
Sylvie Royer a observé un drôle de phénomène : un retour aux valeurs traditionnelles d'engagement (le mariage) et une «couleur plus moderne» d'implication, «d'entraide dans les tâches».
«C'est important, le rôle du père, insiste-t-elle. Le père est lié à l'extérieur. C'est lui qui contribue à défaire la symbiose mère-enfant de façon adéquate. Il lui montre à développer une autre forme d'attachement. Un enfant qui a un bon attachement à ses deux parents sera mieux équilibré pour s'adapter à la société, à l'école, à ses pairs.»
Mme Royer salue l'actuelle «valorisation du rôle de père» dans notre société, notamment avec l'introduction du congé parental. Un homme avec une poussette ne suscite que des réactions positives. Et au bout du compte, le plus gratifiant pour le nouveau père ne demeure-t-il pas l'amour et l'attachement qu'il reçoit de son enfant?
«C'est fascinant, ce que les enfants disent de leur père», se réjouit Diane Dubeau, qui n'en a pas fini avec la valorisation de la paternité : «On a plus de questions que de réponses.»