Publié dans Le Devoir, 7 mars 2011, par Hélène Buzzetti
Ottawa -- Le Canada met-il vraiment en place tous les moyens pour éviter les enlèvements d'enfants par un de leurs deux parents? La question se pose puisque les autorités canadiennes ne prennent aucune mesure pour s'assurer qu'un parent voyageant seul à l'étranger avec son enfant a bien obtenu le consentement de l'autre parent avant de quitter le pays. Cette vérification n'est faite... qu'au retour au Canada! Alors que se termine la semaine de relâche souvent synonyme de voyage hors frontières, au moins un groupe d'aide aux familles d'enfants disparus exige un changement de cette politique.Lorsqu'un père décide de voyager seul avec un ou plusieurs de ses enfants, il doit en théorie obtenir de la mère (ou vice-versa) une lettre de consentement parental. Cette lettre, contenant le numéro de passeport de l'enfant, sa date de naissance, l'itinéraire et la durée du voyage, doit être signée par le parent restant au pays. Des numéros de contact doivent également être fournis. Cette lettre vise à s'assurer que tous les jugements concernant la garde de l'enfant, par exemple, soient respectés. Elle vise aussi en théorie à éviter qu'un parent en froid avec l'autre s'enfuie dans son pays d'origine avec sa progéniture.
Mais voilà. Seule l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a la consigne de demander cette lettre. Or, lorsqu'un voyageur quitte le Canada, il ne rencontre pas les agents de l'ASFC. Il s'enregistre seulement au comptoir de la compagnie aérienne puis passe la sécurité, gérée par l'Administration canadienne de la sûreté du transport aérien (ACSTA). Ce n'est qu'au retour au pays qu'il «passe les douanes», comme on dit, c'est-à-dire qu'il doit s'adresser à un représentant de l'ASFC. C'est alors que la lettre est demandée.
Récemment, l'auteure de ces lignes a effectué seule avec son enfant un voyage à l'étranger l'ayant amenée dans trois pays et deux continents différents. Ce n'est qu'au retour au Canada, à l'aéroport de Montréal, que la lettre de consentement parental lui a été demandée. Lorsqu'il a été interrogé à propos de l'utilité d'exiger la lettre au retour des parents voyageurs, l'employé de l'Agence des services frontaliers a eu cette réponse: «On se dit que les gens, sachant qu'on va la demander au retour, l'auront à leur départ.»
Le cas d'enlèvement parental le plus spectaculaire aura certainement été celui de la fille de 12 ans de Myriam Bédard en 2006. L'ancienne championne olympique avait gardé sa fille près de deux mois aux États-Unis contre la volonté du père. Mais ces enlèvements ou rétentions illicites à l'étranger sont beaucoup plus fréquents qu'on ne le croit. Le ministère des Affaires étrangères du Canada gère à l'heure actuelle 613 dossiers de mineurs disparus à l'étranger. La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a recensé en 2009 (année la plus récente pour laquelle les chiffres ont été compilés) 237 cas d'enlèvement parental, ce qui représentait «le total le plus bas de la décennie».
«Il n'y a pas de loi canadienne qui requière qu'un parent présente une lettre de consentement pour quitter le Canada», confirme la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Emmanuelle Lamoureux. En fait, si cette lettre est fortement recommandée, c'est non pas tant pour sortir du Canada que pour entrer dans un pays étranger. «Le but premier de la lettre de consentement est de faciliter l'entrée d'un mineur dans un pays étranger, poursuit Mme Lamoureux. C'est pourquoi cette lettre devrait être préparée dans l'intention de la présenter aux autorités de ce pays.» En fait, soutient le ministère, la lettre «n'est pas un instrument qui empêche l'enlèvement ou la rétention illicite d'un enfant à l'étranger».
Le Canada est signataire de la Convention sur les enjeux civils reliés aux enlèvements d'enfants (Convention de La Haye). Cette Convention stipule les moyens que doivent prendre les pays pour faciliter le retour des enfants dans leur patrie. Le ministère canadien de la Justice est d'ailleurs formel à cet égard: la Convention n'a pas pour objectif de prévenir les enlèvements, mais de les résoudre. «Elle n'impose aucune obligation spécifique aux pays signataires pour prévenir les enlèvements, explique la porte-parole du ministère, Carole Saindon. La Convention entre en ligne de compte après que l'enlèvement a eu lieu, et son objectif est de permettre un retour prompt et sécuritaire des enfants à leur lieu de résidence habituel.»
Toutes ces excuses agacent au plus haut point Pina Arcamone, la directrice générale de la section québécoise d'Enfant-Retour. «On voit chaque année de 300 à 400 cas. Il doit bien y avoir quelque chose qui ne fonctionne pas dans le système! [...] C'est un enjeu majeur. On aimerait que la lettre soit demandée systématiquement avant qu'on sorte du pays, dit Mme Arcamone. On aimerait que ça devienne une loi pour éviter les enlèvements.»
Selon elle, ce sont les compagnies aériennes qui devraient faire les vérifications au comptoir d'enregistrement. N'est-ce pas trop leur demander? Elle rétorque que les compagnies aériennes vérifient déjà que le nom de leurs passagers ne figure sur aucune liste de voyageurs indésirables (les no-fly lists américaine et canadienne) et transmettent aux autorités américaines les informations personnelles de leurs clients si leur avion doit survoler le territoire américain. Alors, pourquoi ne pas aussi s'assurer que l'enfant a le OK de ses deux parents pour voyager, demande-t-elle?
Mme Arcamone raconte qu'il y a deux ans, une rencontre pancanadienne a été organisée par le ministère des Affaires étrangères sur cette question. Selon le compte rendu qu'elle en fait, les fonctionnaires hésiteraient à rendre la lettre obligatoire de peur de créer des tensions dans un couple. «Une des craintes serait que les parents signent la lettre sous pression, voir la menace de mort, ou encore qu'il y ait de fausses signatures.» Pina Arcamone écarte ces arguments du revers de la main, faisant valoir que si tensions il y a, elles existeront que la lettre soit exigée par les autorités au départ ou au retour...
Elle reconnaît toutefois que la lettre de consentement ne règle pas tout puisque des enlèvements surviennent parfois même lorsque l'autre parent a donné son accord au voyage. Elle note qu'aucun pays n'est plus susceptible qu'un autre d'accueillir des parents kidnappeurs. Les parents ont tendance à se rendre dans leur pays d'origine. Les pays de destination les plus fréquents sont l'Égypte, l'Algérie, le Liban, l'Arabie saoudite, la France, le Mexique et la Tchécoslovaquie.
Notons enfin que si la plupart des parents voyageurs confirment ne se faire demander la lettre qu'au retour au pays, il existe une exception: les États-Unis. Ce pays, comme le Canada, exige de voir la lettre de consentement lors de l'entrée sur son territoire. Or, dans la plupart des aéroports canadiens, les autorités américaines sont sur place pour faire «passer la douane» aux voyageurs. La vérification de la lettre est donc faite à ce moment, en sol canadien, avant que l'avion n'ait décollé.
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