21 octobre 2011

Rencontre sur la persévérance scolaire - L'incontournable évaluation

Publié dans Le Devoir, 21 octobre 2011, par Lisa-Marie Gervais

Si les Québécois sont champions des bonnes idées pour contrer le décrochage, ils ne réussissent pas toujours à les implanter efficacement. Pour qu'elles ratent moins la cible, elles devraient être plus systématiquement évaluées, a soutenu le professeur en psychoéducation à l'Université de Montréal, Michel Janosz, dans le cadre des 2es rencontres sur la persévérance scolaire. «Mais personne n'aime ça s'autoflageller. S'auto-évaluer, ce n'est pas le fun».Pourtant, c'est la seule façon de mesurer l'efficacité, croit-il. «L'idée c'est de documenter ce qu'on fait, de vérifier si on fait bien ce qu'on a planifié et être capable de voir si on atteint les objectifs. Si on ne le fait pas, on reste dans une impression d'efficacité», a dit M. Janosz, directeur du Groupe de recherche sur les environnements scolaires (GRES).

Il constate que le milieu des sciences sociales n'a pas toujours la rigueur de celui de la recherche scientifique, où par exemple on fait des devis en double aveugle pour être certain de ne pas biaiser les résultats. «On a tendance à aller vers ce qui fonctionne, c'est la nature humaine.»

Le sociologue Michel Perron, président du comité organisateur du colloque, a d'ailleurs souligné en conférence de fermeture que «favoriser une culture de l'évaluation» devait être parmi les priorités. Directrice adjointe à la commission scolaire des Samares, Sylvie Anctil a travaillé à mettre en Ïuvre le programme PARER, un projet de mentorat implanté dans des écoles en milieu très défavorisé, qui s'inspire de la méthode états-unienne «check and connect». Sans un «monitorage» et un suivi serré des objectifs, l'initiative n'aurait jamais donné des résultats aussi satisfaisants, note-t-elle. «On regardait de façon hebdomadaire chaque critère, par exemple si l'absentéisme avait diminué, et ça nous permettait de relancer l'élève dans le défi qu'il s'était fixé», a-t-elle expliqué.

Michel Janosz reconnaît néanmoins que l'idée d'évaluer les pratiques fait son chemin. Lui qui a livré une évaluation, d'ailleurs très critique, de la Stratégie d'intervention Agir autrement (SIAA), mise en place dans les écoles secondaires des milieux défavorisés, admet que cela n'aurait pas été possible il y a dix ans. «J'aurais été lapidé sur la place publique! Mais je sens maintenant une attitude favorable», a-t-il remarqué.

Un institut national?

Pour l'instant, l'efficacité des actions est variable parce que l'accès aux ressources, l'argent comme la recherche, n'est pas la même partout sur le territoire. «Les ressources sont concentrées dans des poches. On n'est pas assez nombreux au Québec et on n'a pas la capacité scientifique d'un pays comme les Etats-Unis, qui ont tout un bassin d'experts et de chercheurs», a-t-il souligné. «Ça nous prend absolument un espace national».

Il a dit plancher, avec d'autres, sur un institut national qui ferait de la recherche très ciblée. «Il y a actuellement un groupe de personnes qui travaillent à mettre en place une telle structure», a-t-il confirmé au Devoir. Mais ici, pas questions que les chercheurs travaillent tous seuls dans leur coin. «On va travailler avec les commissions scolaires, les profs, des gens d'affaire. On ne veut surtout pas quelque chose qui mette en péril la mobilisation qu'on a en ce moment», a assuré M. Janosz.

Anne Lessard, professeur au département des études sur l'adaptation scolaire et sociale à l'Université de Sherbrooke, applaudit ce genre d'initiative. «Ça fait vraiment une grande différence d'avoir la recherche qui vient nourrir les pratique et soutenir une analyse réflexive qui permet aux gens de voir ce qui fonctionne ou pas», a-t-elle soutenu.

Du troc mais pas de silos

Au cours des deux jours du congrès, certains consensus ont émané, notamment sur l'organisation en silo, qui est à proscrire, selon plusieurs, au profit de la concertation. D'autres ont souligné l'importance de la valorisation. «Il faut repositionner la profession dans la société. Et l'université a un rôle à jouer», a dit Hélène Perreault, doyenne de la faculté des sciences de l'éducation de l'Université McGill, qui agissait comme rapporteuse au congrès. «J'adorerais que comme en Finlande et en Suède, on ait tellement de demandes d'inscriptions à la faculté d'éducation, qu'on soit obligés de contingenter plus que pour les facs de médecine et de droit. Il faut aussi reconnaître la responsabilité des enseignants. Je me demande si on n'oserait pas revoir [leur rémunération]. Est-ce que la compensation est équitable pour la contribution qu'ils font à la société?», a-t-elle dit tout haut sous les applaudissements de la foule.

L'ancienne journaliste de TVA, Monique Grégoire, qui agissait aussi comme rapporteuse, a relevé quelques «empêcheurs de tourner en rond». «J'ai appris que les commissions scolaires et les municipalités ne peuvent plus faire du troc. Par exemple, l'école dit "je te prête mon gymnase et tu utilisent ma bibliothèque". Maintenant, ces deux structures se facturent!», s'est-elle étonnée.

Enfin, l'économiste Pierre Fortin a rappelé que les entreprises avaient une aide à offrir, qui était désintéressée. «Les entreprises s'impliquent avec enthousiasme et il ne faut pas avoir peur d'aller cogner à leurs portes», a-t-il souligné. «Ce n'est pas par intérêt financier mais parce qu'elles se disent que ces enfants-là à aider sont nos enfants.»

En plus de la ministre de l'Éducation, la clôture du colloque a su attirer le ministre de la Santé, Yves Bolduc ainsi que le premier ministre, Jean Charest, qui a lancé un appel à la mobilisation de tous. «Les vrais résultats qui vont nous faire avancer sont ceux qui vont mobiliser les profs, les administrateurs et le personnel de soutien mais interpeller également les communautés», a dit M. Charest. Il a de nouveau insisté sur l'effort que doivent fournir les parents. «Mon père ne me faisait pas faire mes devoirs. Mais à tous les jours, il me demandait "as-tu fait tes devoirs?" Il s'intéressait notre éducation. Déjà, si nous pouvions conscientiser les parents de l'importance de manifester leur intérêt à l'éducation de leur enfant, ce serait beaucoup.»

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